Le risque de la savanisation, ce régime tropical humide et sec qui précède la désertification, due à l’activité humaine dans cette région, serait une des causes majeures de la rareté de poissons dans le lac Edouard que la RDC partage avec l’Ouganda. Cette assertion est démontrée par des explications des acteurs de ce secteur de la pêche et des résultats des travaux scientifiques réalisés récemment. A cela il faut ajouter les défis de réglementation et d’innovation dans la pêche. La solution que compte proposer un institut spécialisé de pêche implanté dans la région est encore au stade embryonnaire mais la carence rend misérable la vie des pêcheurs et provoque un conflit géopolitique. Enquête de Claude Sengenya de actualite.cd et Hervé Mukulu de lavoixdelucg.org sur les causes et conséquences de la rareté de poisson dans l’ancien Lac Idi Amin dont le Congo-Kinshasa possède 75 % de la superficie contiguë dans l’aire protégée des Virunga.
Photo N°1: Kyavinyonge, une enclave de pêche au bord du lac Edouard et le parc national
Kyavinyonge, une pêcherie sans poisson
Ce mercredi de février, au lever du soleil au débarcadère de Kyavinyonge, l’une des pêcheries congolaises situées à la côte ouest du Lac Edouard, habitants et acheteurs se pressent à accueillir les pirogues qui accostent avec espoir de trouver les poissons des mains des pêcheurs qui ont passé une nuit sur les eaux.Malheureusement pour eux, la moisson n’a pas été abondante. Katembo et ses deux autres collègues pêcheurs ont enduré le froid toute la nuit sur les eaux du Lac Edouard et ne sont revenus qu’avec moins de dix poissons.
Hier (la veille), je suis parti vers 15 heures locales, et sur la mer, nous avons commencé à pêcher à O heure. Jusqu’à 5 heures, nous n’avons eu que neuf poissons
se désole ce pêcheur qui tire ces poissons du filet. Il évoque un travail en perte, lui qui a dépassé près de 25 000 FC dans l’achat du carburant pour faire fonctionner sa pirogue à moteur hors-bord pour ne gagner que 36 000 FC.
J’ai utilisé six litres de carburant pour ne pêcher que neuf poissons, alors qu’un poisson coûte entre 3 500 et 4000 FC. Donc, je n’ai rien gagné
regrette-t-il.
Avant, aux visiteurs comme vous, on partageait gratuitement les poissons quand ils se promenaient au bord du lac. Aujourd’hui, le poisson vaut de l’or
ajoute son collègue avec qui ils ont passé toute une nuit en mer.
Ces témoignages traduisent le mal profond qui rongent ces pêcheurs et qui n’ont plus ce sourire légendaire des habitants du lac Edouard vivant sur le don de la nature, la cueillette des fruits de la mère nature. Car de plus en plus de pêcheurs reviennent les mains bredouilles après des nuits passées en mer. Certains réalisent jusqu’à deux semaines sur la mer sans mettre le pied sur la terre ferme, comme l’exige la pêche du clarias, pour une maigre récolte qui ne compense même pas la dépense en carburant et restauration de l’équipage composé de 3 à 7 personnes par pirogue.
Photo N°2: Des pêcheurs qui préparent leurs filets la mi-journée au bord du lac car ils doivent embarquer avant la tombée de la nuit. Crédit photo: Hervé Mukulu
Le beau vieux temps!
Un des grands lacs de la zone ouest du Rift africain, le Lac Edouard, le Congo (RDC) partage ses eaux avec l’Ouganda. D’une superficie de près de 220 000 ha dont 74 % en territoire congolais, l’ancien Lac Idi Amin du nom de l’ancien dictateur Ougandais Idi Amin Dada, ce lac était réputé comme l’un des plus poissonneux et abritant une diversité exceptionnelle de poissons.
Selon des témoignages, depuis 1948, au Congo, alors une colonie belge, les pêcheries au tour du Lac Édouard étaient cogérées par l’Institut Congolais pour conservation de la nature (ICCN) et la Coopérative des Pêcheries Indigènes du Lac Édouard (COOPILE), devenue Coopérative des Pêcheries des Virunga COOPEVI, une coopérative créée par une douzaine des chefs coutumiers de la région.
Ces entités de gestion dotées des bateaux de pêche pratiquaient la pêche industrielle qui leur permettait de nourrir l’est du Congo, à en croire Léon Muhindo Kyamundu, un septuagénaire travaille depuis 1979 à la COOPEVI.
A l’époque, il fallait fournir du poisson aux riverains, aux agglomérations de l’Est comme Butembo, Kisangani et Goma ainsi qu’aux sociétés minières très influentes à l’époque comme les Mines des grands lacs (MGL) et la Générale des carrières des mines (GECAMINE). On faisait de la pêche industrielle et on était en mesure de satisfaire la demande
se rappelle Léon Muhindo Kyamundu qui gère aujourd’hui la station de la COOPEVI dans l’enclave de pêche de Lunyasenge.
Il nous arrivait d’atteindre 12 tonnes de poissons frais le jour, entre 1975 et 1984
se rappelle-t-il, nous compilant les statistiques de production.
Kasereka Silulegha, armateur et pêcheur de 49 ans témoigne qu’en ses débuts d’activités de pêche en 1994 à Kyavinyonge, l’activité était prolifique.
Jusqu’en 2003, tout allait mieux. En quelques jours seulement j’avais réussi à me doter de deux nouvelles pirogues ainsi que d’un champ de café, l’or vert très recherché à l’époque. Je me suis construit une maison. Mais aujourd’hui tous ces biens ont vieillis et je ne sais m’en taper d’autres car nous trouvons à peine 30 poissons alors qu’on pouvait pêcher des centaines à chaque tour
s’inquiète Kasereka Silulegha, rencontré sous l’ombre d’un manguier, en plein requiem de son fils happé, une semaine plutôt , par des crocodiles qui se rapprochent de plus en plus des plages du lac Edouard, faute de nourriture dans l’eau.
Aujourd’hui, tout est à l’arrêt. Nous sommes au chômage
regrette-t-il, indexant des pirogues accostées faute d’activités.
Graphique: Evolution de la production des poissons dans la pêcherie de Kyavinyonge (2012- Sept 2023)