Dans les pêcheries congolaises situées à la cote du Lac Edouard, quand on interroge armateur, pêcheur et services d’expliquer le pourquoi de la carence des poissons dans ces eaux douces, à l’unanimité ils évoquent l’année 1997 et pointe du doigt les rébellions «venues installer le désordre».
L’année 1997 coïncide avec l’entrée dans la zone de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération), une rébellion soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Elle a, au mois de mai de la même année, portée au pouvoir l’ancien Président Laurent Désiré Kabila, chassant le maréchal Mobutu qui a régné pendant plus de trente ans sans partage dans l’ex-Zaïre.
Tout a basculé dans le désordre à l’entrée de l’AFDL qui a installé l’anarchie. Avec l’AFDL qu’ils voyaient comme un mouvement de libération, les pêcheurs ont revendiqué la pêche libre et non plus à travers la coopérative. Nous avons observé une surcharge des pirogues sur le lac. Nous avons constaté l’arrivée des clandestins qui pêchent avec des filets à mailles prohibées ou vont pêcher dans les frayeurs, pourtant des maternités des poissons. A la longue, nous constatons que cette anarchie n’a profité à personne.
déplore Emery Kighoma, gérant de la station de Kyavinyonge à la COOPEVI.
Avant la rébellion, il était interdit de pêcher dans les frayeurs. On devrait s’éloigner d’au moins 500 mètres de la côte pour jeter nos filets et on revenait avec du poisson. Avant, une pirogue devait revenir avec au minimum 700 poissons et on pêchait à seulement 1 km de la côte. Mais aujourd’hui nous devons parcourir au moins 4 heures sur le lac pour plonger nos filets, y passer des nuits, dépenser du carburant pour ne revenir qu’avec moins de 30 poissons. C’est du sal boulot ça !
s’indigne Musubao Kambale qui n’a pêché que trois poissons la nuit dernière.
Jusqu’en 2003, on ne vivait pas encore les conséquences de cette anarchie. On pensait que tout allait bien parce qu’il y avait encore du poisson dans tous les ménages. Toutes nos pêcheries sentaient du poisson. Et pour les visiteurs, le long du lac, on ne pouvait que leur remettre gratuitement du poisson. Ce n’est plus le cas
regrette-t-il.
Muhindo Vyalengekanya Joël, président du Syndicat des armateurs, pêcheurs individuels et environnementalistes de Kyavinyonge (SAPIEKYA) affirme que la rébellion a également créé des nouvelles pêcheries qui échappent jusqu’aujourd’hui au contrôle de l’Etat.
Côté congolais, dans le temps, il n’y avait que trois pêcheries à savoir, Vitsumbi, Kamandi et Kyavinyonge. Durant la rébellion de 1997, ils ont créé les pêcheries de Lunyasenge, Kisaka, Kasindi-port et Musenda
révèle-t-il, ajoutant que dans toutes ces pêcheries, le nombre de pirogue ont aussi doublé, dépassant le seuil recommandé dans ces enclaves de pêches contiguës au parc national des Virunga.
Dans la dizaine de pêcheries, nous avons autour de 4000 enregistrés auprès des services attitrés, et près de 4 000 autres pirogues qui œuvrent dans la clandestinité
révèle ce syndicaliste issu d’une famille de pêcheurs et qui œuvre comme armateur depuis 2005.
Carte : Les pêcheries de la côte Ouest du lac Edouard
Une multiplicité des pêcheurs clandestins également dû à la démographie galopante dans les pêcheries. Créée dans le parc national des Virunga, une aire protégée, l’enclave de pêche de Kyavinyonge ne pouvait accueillir sur la superficie de 5 Km2 – (3 Km2 réservée aux habitations et 2 Km2 réservée aux activités champêtres et de recherche de bois de chauffe) – que 250 pêcheurs, chacun avec tout au plus sept (7) dépendants.
Mais d’après Muhindo Kidumu, chef de localité de Kyavinyonge, l’enclave compte aujourd’hui plus de 39 000 habitants, au mépris de la convention conclue avec le parc qui exigeait l’évacuation de tout nouveau majeur. L’objectif étant d’éviter toute menace liée à la recherche de nouveaux espaces dans l’air protégée. Mais hélas!
Écosystèmes détruits et faune aquatique menacée!
L’anarchie couplée à la démographie galopante dans les pêcheries congolaises provoque la pression de l’homme sur les écosystèmes, y compris les écosystèmes forestiers. Menacés par la rareté des ressources halieutiques, les pêcheurs se convertissent en agriculteurs. Pour ouvrir leurs nouveaux champs, ils rasent la forêt, y compris aux abords des rivières qui alimentent le lac.Pourtant, d’après l’ingénieur aquacole Fabrice Muyisa, enseignant à l’Institut supérieur de Technique de pêche et d’aquaculture de Kyavinyonge (ISTAPT), les feuilles, les déchets des oiseaux, et autres que drainent ces rivières sont des sources de nourritures importantes également pour les poissons du lac.
les gens qui habitent le long des rivières qui alimentent le lac y jettent des déchets plastiques, les acides, les insecticides, des rats morts empoisonnés, qui sont aussi nocifs pour les poissons
Plus grave encore, déplore le syndicaliste environnementaliste Joël Vyalengekanya.
Des chercheurs de l’Université catholique du Graben de Butembo (UCG), notamment Norbert Ndavaro ont analysé des images satellitaires qui démontrent les transformations foncières et l’évolution des paysages agraires sur la dorsale occidentale du Rift Albertin entre 1975 et 2020. D’après les chercheurs, en 1987 la forêt de la zone indiquée couvrait 811,7 Km2 contre 398,4 Km2 en 2018.
Cette diminution du couvert forestier conduisant à la savanisation est non sans conséquence sur le couloir écologique qui traverse ces hautes terres de Lubero, une région dont les eaux finissent dans le lac Edouard.
Photo 5: Dynamique spatio-temporelle de l’occupation du sol et du couvert forestier dans les Hautes Terres Fraîches de Lubero (R.D. Congo) Spatio-temporal dynamics of land use and forest cover in the Cool Highlands of Lubero (D.R. Congo)
Mais il n’y a pas que la perte du couvert forestier qui affecte l’écologie autour du lac. Il a également des têtes d’érosions qui rongent la dizaine des rivières qui ramènent du sable dans le lac, détruisant les frayères et empêchant les poissons de se reproduire. Phénomène étudié par les chercheurs de l’UCG dans la rivière Talihya dont la branche Nord finit dans le lac Edouard.
La rivière Talihya Nord, en 1947, elle perdait par érosion 13,08 tonnes de sable à l’hectare par an ; en 2021, 42,93 tonnes à l’hectare par an. Et en 2020 c’était 16, 42 tonnes à l’hectare par an. Ce qui donne une érosion potentielle 76, 06 tonnes à l’hectare par an qui finissent dans le lac
révèle le chercheur en gestion des catastrophes naturelles, associé à cette étude.
D’après l’étude, la branche Sud de la rivière Talihya a une érosion potentielle de 75,70 tonnes de sable à l’hectare par an qu’elle déverse dans une partie importante dans la baie de Kamandi, principale zone de frayères du lac Edouard.
Toutes ces terres vont aller se déverser, par le processus d’assemblement, dans le lac Edouard, dans la baie de Kamandi qui est une zone de frayère avec toutes les conséquences liées à la turbidité et l’assemblement, l’oxygénation; les poissons vont fuir la région allant dans les eaux profondes ou du coté ougandais
explique le docteur Sahani Walere, également expert en gestion des catastrophes naturelles qui appelle à ne pas négliger les causes écologiques de la carence des poissons dans le lac Edouard.
Le bassin versant de la rivière Ndihira qui se verse dans le lac Edward montre un couvert forestier qui est passé de 97,45 km2 en 1985 à 17,9 Km2 en 2020.
Cette forte anthropisation suivie d’une déforestation accrue entraîne des problèmes liés au ruissellement puisque l’imperméabilisation du sol conduit au processus de ruissellement qui déclenche des problèmes d’érosion en amont…C’est un grand souci. Nous tendons vers ce que l’on appelle le processus de savanisation de la région et qui précède la désertification à la longue, si on ne tire pas attention
prévient le chercheur Sahani Walere.
Au-delà de la destruction des écosystèmes forestiers, il y a également le braconnage qui décime les hippopotames du lac Édouard dont les excréments servent pourtant à nourrir les poissons.
En 2006, on recensait environ plusieurs milliers de hippopotames dans le lac Edouard. Un hippopotame défèque plusieurs dizaines de Kg de bouse le jour. C’est autant de tonnes de nourritures régulières pour les poissons. Aujourd’hui, l’ICCN (Institut congolais de la conservation de la nature, ndlr) nous dit que l’on ne peut avoir que quelques centaines de têtes dans ce lac. Ils ont tous été tués. Autant de repas perdus pour nourrir les poissons dans les frayères
regrette le Syndicaliste environnementaliste Joël Vyalengekanya.
Graphique: Evolution de la population d’hippopotames dans le Parc National des Virunga (1970-2022)
Un nombre en baisse dans le parc des Virunga au fil des ans à cause du braconnage et de l’instabilité sécuritaire dans la zone.
Photo 5: Des oiseaux sur des pirogues non en service à une centaine des mètres du port. © Crédit photos: Hervé Mukulu
Cette rareté des poissons sur la surface des eaux fait disparaître des oiseaux qui se nourrissent des fretins. C’est le cas des martins pêcheurs qui ne trouvent plus de ration du côté congolais et migrent du côté ougandais où la pêche est réglementée et abondante. Mais pas seulement. Suite à la rareté des poissons dans le lac Edouard, les crocodiles manquent également de nourriture et se rapprochent désormais des plages pour happer les pêcheurs ou les habitants qui viennent se ravitailler en eau. Au premier trimestre de l’année 2024, des associations des pêcheurs ont recensé au moins dix morts dans la seule pêcherie de Kyavinyonge, à la suite des attaques des crocodiles.
Nous pensons que la diminution sensible des poissons dans le lac pousse les crocodiles à se rapprocher davantage des rives pour se nourrir. Tout ceci devra évidemment être déterminé par une étude scientifique que nous espérons prochaine
nous a expliqué Bienvenu Buende, le chargé de communication du parc national des Virunga dans lequel se trouve le lac Edouard.